Connaissez-vous l’Ecole Van der Kelen ? Quelle que soit votre réponse, si vous aimez les arts décoratifs, vous plongerez avec délice dans Un monde à portée de main de Maylis de Kerangal.
Après Réparer les vivants, l’auteure française a décidé de consacrer un roman à cette institution bruxelloise trop peu connue chez nous mais pourtant à renommée internationale dans le monde de la restauration et du trompe-l’œil. La protagoniste du roman y suit les cours en 2007 et découvre un monde rigoureux où l’œil et l’imaginaire sont les meilleurs outils de travail pour imiter bois et marbres rares. Son parcours initiatique professionnel la mènera ensuite dans de somptueuses maisons praticiennes en passant à la Cinecitta de Rome où des décors d’époques différentes côtoient le monde réel jusqu’à l’expérience suprême dans un site archéologique où l’artiste d’aujourd’hui va s’effacer pour juste « répliquer » le travail des anciens dans le respect du temps et de l’ouvrage admirable qui se détériore.
J’ai aimé :
- la question posée sur le rapport entre le vrai et le faux. Les peintres en décor sont-ils de dangereux faussaires ou d’autres raisons animent-elles leur minutieux travail ? Mais où est notre monde : celui de l’imaginaire ou celui du réel ?
- la précision et le travail documentaire fouillé du roman, qui sembleront peut-être excessifs à certains
- l’extraordinaire complémentarité entre le roman qui nous fait toucher, respirer, voir, ressentir l’ambiance de la rue du Métal et la visite privée de l’Ecole Van der Kelen que j’ai eu la chance de vivre. Grâce à Maylis de Kerangal, un monde fascinant est à portée de main du lecteur, je l’ai vérifié.
Soudain, Paula enjambe son sac, s’avance lentement vers les plaques de marbre- de la brèche violette- , elle le saura plus tard-, pose sa paume à plat sur la paroi, mais au lieu du froid glacial de la pierre, c’est le grain de peinture qu’elle éprouve. Elle s’approche de tout près, regarde : c’est bien une image. Etonnée, elle se tourne vers les boiseries et recommence, recule puis avance, touche comme si elle jouait à faire disparaitre puis à faire revenir l’illusion initiale (…), atteint la fenêtre, prête à se pencher au- dehors, certaine qu’un autre monde se tient là, juste derrière, à portée de main, et partout son tâtonnement lui renvoie de la peinture. Pourtant, une fois parvenue devant la mésange arrêtée sur sa branche, elle s’immobilise, allonge le bras dans l’aube rose, ouvre la main afin de glisser ses doigts entre les plumes de l’oiseau, et tend l’oreille dans le feuillage.

« Un monde à portée de main » – Maylis de Kerangal – plaisirsdelire