– Qu’est-ce que ça vous fait d’être blanche ?
Elle secoue la tête d’un air dérouté.
– Je ne pense jamais à ça. Je vous l’ai dit lorsque nous nous sommes rencontrées : je n’accorde aucune importance à la couleur de peau.
– Nous n’avons pas toute la chance de pouvoir faire ça.
C’est par ce genre de phrases percutantes que Jodi Picoult nous fait réfléchir sur la question raciale dans l’Amérique moderne. Son livre Mille petits riens raconte l’histoire d’une sage-femme expérimentée et douée, Ruth Jefferson, qui se retrouve sur le banc des accusés après la mort du nourrisson de la famille Bauer. Le roman s’articule autour de trois voix : celle de Ruth, une femme afro-américaine qui s’est battue toute sa vie afin d’avoir le meilleur avenir possible pour elle et son fils, travaillant dur pour atteindre son objectif ; celle de Turk Bauer, un suprématiste blanc animé par la haine et la violence ; et enfin celle de Kennedy, l’avocate de la défense qui va petit à petit prendre conscience de ses privilèges de blanche.
Je ne fais pas partie de ces gens qui s’imaginent que, puisqu’on a élu un président noir, on est entrés comme par magie dans une ère postraciale. [Kennedy]
Voilà une phrase que j’aurais pu prononcer. En effet, le racisme à l’heure actuelle est un thème qui m’interpelle beaucoup depuis que j’ai regardé l’excellente série Dear white people, et pourtant, me voilà bien ignorante sur la question. Ce que j’ai particulièrement aimé dans ce roman, c’est que l’auteur décrit à la fois le racisme profond, celui des suprématistes blancs qui saute aux yeux et nous laisse sans voix (un exemple parmi d’autres, avec les groupuscules néonazis, skinheads, ils se réunissent le 20 avril pour fêter la naissance d’Hitler) mais aussi, et surtout, le racisme passif incarné par Kennedy qui représente tous les lecteurs blancs et de laquelle je me suis sentie assez proche, pleine de bonnes intentions mais souvent à côté de la plaque.
J’ai aimé ce roman parce qu’il est
- Bouleversant, on ne peut pas dire, c’était avant.
- Profond et juste, il pointe du doigt ces mille petits riens qui derrière des non-dits en disent long pour beaucoup d’entre nous.
- Remuant, même ceux qui se disent tolérants ou qui croient à l’égalité ne regardent pas les choses comme il faut.
- Dérangeant, combien de paroles maladroites ai-je déjà prononcées, sans même m’en rendre compte ? Qu’en est-il du racisme en Europe, en Belgique ?
Alors oui, le style d’écriture est assez simple et il y a quelques lenteurs au milieu du récit mais l’intrigue est passionnante et surtout, quelle leçon de vie ! Si vous ne deviez emporter qu’un roman dans votre valise cet été, ce serait celui-là.
Sur le même thème, je vous conseille les très bons romans No home et Underground railroad.
La partie immergée du racisme est en revanche plus compliquée à discerner… et à accepter. Ce sont toutes ces petites choses du quotidien dont nous bénéficions, nous, les Blancs, précisément en raison de la couleur de notre peau. Nous pouvons aller voir un film au cinéma avec la quasi certitude que la plupart des personnages principaux nous ressemblent. […] Et le soir, en rentrant du travail, la grande majorité d’entre nous ne pousse pas la porte en s’écriant : « Hourra ! Aucun vigile ne m’a arrêté pour me fouiller aujourd’hui ! » […] Nous ne pensons pas à ces choses parce que nous n’y sommes pas obligés.
Les Blancs ont passé des années à redonner aux Noirs leur liberté sur le papier mais au fond d’eux ils attendent toujours qu’on leur dise oui, missié, qu’on ferme nos bouches et qu’on se contente de ce qu’on a. Dès qu’on commence à dire ce qu’on pense, on risque de perdre notre boulot, notre toit et même notre vie.
Couleur chair, lis-je sur l’étiquette. Dites-moi, lequel de ces pansements est de couleur chair ? Je veux dire, de la couleur de MA chair ?

Mille petits rien – Jodi Picoult – Plaisirsdelire