Dénonciation. Tel est le mot qui me vient à l’esprit pour décrire L’Ordre du jour d’Eric Vuillard. Dans ce qu’il désigne lui-même comme un récit, l’auteur accuse : il dénonce le mensonge, la pièce de théâtre macabre qui s’est jouée dans les années trente au niveau des hautes sphères du pouvoir économique et politique allemand et européen.
Impossible qu’ils aient ignoré les balises offertes par la constitution, qu’ils n’aient pas entendu les déclarations sans contours de l’intention expansionniste d’Hitler, qu’ils n aient pas eu connaissance de faits comme la Nuit des longs couteaux ou encore l’exposition à Munich sur « le Juif éternel ». Et pourtant, ils signent, ils s’inclinent et disent oui. Parfois avec retard, mais toujours ils acceptent de suivre l’ordre du jour imposé. Par intérêt personnel ? Par peur ? Par lâcheté? Quelles qu’en soient les raisons, la force de persuasion – même par le bluff – d’un manipulateur est écrasante. Et fait réfléchir.
J’ai aimé
- ce fil conducteur des rencontres au cours desquelles l’Histoire européenne s’est jouée avant la Seconde Guerre mondiale. Mine de rien.
- les anecdotes sur les hommes ou les événements qui ne seraient reprises qu’en bas de page de manuels d histoire mais qui éclairent tellement sur l’esprit du temps.
- tout particulièrement le chapitre dédié aux hommes et femmes qui, par le suicide, ont refusé de s’incliner et de répondre positivement à l’ordre du jour de la joyeuse entrée d’Hitler en Autriche. Moment où il a proposé l’Anschluss au referendum avec, officiellement, 99,75 % de oui autrichiens.
- l’impertinence du ton et l’érudition de l’auteur tout comme la richesse du vocabulaire ici déployé.
On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d’effroi. Et on voudrait tant ne plus tomber qu’on s’arc-boute, on hurle. A coups de talon, on nous brise les doigts, à coups de bec on nous casse les dents, on nous ronge les yeux. L’abîme est bordé de hautes demeures. Et l’Histoire est là, déesse raisonnable, statue figée au milieu de la place des Fêtes, avec pour tribut, une fois l’an, des gerbes séchées de pivoines et, en guise de pourboire, chaque jour, du pain pour les oiseaux.
On comprend donc le prix Goncourt accordé à ce roman publié chez Acte Sud.

Plaisirsdelire – L’ordre du jour – Eric Vuillard