Quel bonheur littéraire de retrouver l’écriture de Sorj Chalandon dans son dernier roman Le Jour d’avant. Les thèmes qu’il aborde sont toujours réalistes et percutants et cette fois, c’est celui du travail des mines qui est traité. Les mines ici, ce n’est pas Germinal de Zola, ce sont les Houillères du nord de la France qui ont fermé leurs charbonnages il y a à peine 20 ans.
Dans ce roman à haute teneur informative (rappelons que Chalandon est journaliste et grand reporter), un hommage est rendu aux 42 mineurs qui ont trouvé la mort dans une galerie de Lievin le 27 décembre 1974, drame qui aurait pu être évité si la rentabilité à outrance n’avait pas outrepassé les mesures de sécurité.
Mais la trame de ce roman ne limite pas à mettre le protagoniste dans la peau d’un membre de la famille d’un mineur tué et c’est là qu’éclate l’originalité de ce roman. « Venge nous de la mine » lit Michel sur le papier trouvé dans le pantalon de son père qui s’est donné la mort. Toute sa vie durant, Michel ne peut oublier ce mal malgré une fuite vers un autre métier, malgré un déménagement à Paris, malgré une vie conjugale harmonieuse et une épouse bienveillante jusqu’à son dernier souffle. Il doit à tout prix poser un acte libérateur mais fatal pour se dégager de ce poids insoutenable.
J’ai aimé
- plus que tout, le style de l’auteur, sa façon de dire les sentiments, de décrire sans juger la psychologie profonde et complexe de ses personnages, ici de Michel qui se raconte lui-même.
- par cette lecture, rendre hommage à une part d’histoire sombre de mon pays, ayant en tête par exemple l’image des Corons autour du Grand Hornu.
- la construction de l’intrigue qui m’a plusieurs fois réservé des surprises et qui a tenu ma lecture en haleine jusqu’au dernier chapitre.
- s’interroger sur la mémoire sélective de l’être humain: Jusqu’où peut-on s’arranger avec la vérité ?
Jusqu’où peut-on vivre dans la culpabilité ?
Cette lettre, mon père l’avait laissée dans son pantalon. Un mot pour moi et pour moi seul. L’écriture était belle. Ma mère avait découvert le message et me l’avait tendu sans un mot. Je crois même qu’elle ne l’a pas regardé le prendre. Sa main, la mienne, et cette mort entre nous. Puis elle a tourné le dos.
Je n’avais pas envie de parler. Pas envie de jouer. Mon frère était mort il y avait quarante ans, en ouvrier.Et cette terre n’était plus la sienne. Plus la mienne non plus.
Notre bassin n’avait plus rien de minier. Je ne reconnaissais ni les hommes ni leurs rêves. Je n’aimais pas les questions rances qui les souillaient. A mon retour, je m’étais enivré des couleurs, la lumière du ciel, l’odeur de terre mouillée, la beauté des terrils, la majesté du chevalement. (…) Je pensais retrouver des éclats d’enfance et j’en ramassais des lambeaux.
Si vous ne connaissez pas encore cet auteur, foncez ! Nous avons également adoré Profession du père et l’extraordinaire Quatrième mur.

Sorj Chalandon – Le jour d’avant – Plaisirsdelire