Il ne portait pas de chandail de Annick Walachniewicz ou l’importance de dire… Le silence, ce bloc de béton, cette masse de labeur « pour se donner l’illusion d’aller bien » habitent la vie de Père et de Mère, deux âmes abandonnées et blessées. L’un a été arraché à sa famille et a été plongé, petit adolescent, dans l’horreur des camps. Il s’évade avec un compagnon de malheur qui le quitte par la suite. L’autre a été élevée par sa grand-mère, laissée dans un couffin devant la porte.
Pour aller de l’avant, ils décident de commun accord de ne rien raconter. Mais voilà, deux enfants naissent de cette union et les secrets plongent ces derniers dans les abimes de la colère et de la fuite. La Petite, à l’automne de sa vie, décide à force de volonté et de combat intérieur de plonger au sens propre dans la piscine et au sens figuré dans l’écriture pour faire sauter ces tabous. Par besoin aussi de mettre des mots sur la vie d’un père qui ne savait ni nager ni parler ou sur encore le vécu d’une mère qui adorait et détestait la vie tour à tour.
On a aimé :
- la quête des origines de l’auteure par la médiation de l’écriture et des mots qui joignent les lèvres de la déchirure qui (lui) traverse tout le corps ;
- les différents tableaux à travers le temps qui composent alternativement le récit. Car le passé explique le présent et vice-versa;
- l’amour et la bienveillance de la narratrice pour ses parents qui n’avaient trouvé d’autre moyen d’avancer que de se taire. Cet amour, elle le trouvera pour elle-même aussi à la fin de son chemin d’écriture;
- tout particulièrement l’écriture poétique de ce roman qui donne vie aux choses, qui crée ou réinvente les mots en transgressant leur fonction ou leur sens premier, comme par exemple : Une idée fixe crampe leur volonté…. Des graines de silence tombent sur ses pas…. Tobiasz avale ses larmes. Il fabrique dans le secret de son corps des poches à chagrin.
Ce 22 mai, je peux dire que l horizon s éclaire. La mer se retire, libère des kilomètres de sable. Je vois loin. Je suis la Petite aux pieds légers, arpenteuse de toits. Je prends de la hauteur pour regarder mon histoire, avec bienveillance. Elle est mienne, elle est fondatrice.

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