Le titre du roman de Colson Whitehead Underground railroad fait référence à ce fameux chemin de fer clandestin qu’empruntèrent de nombreux esclaves afro-américains du 19e siècle dans l’espoir de s’enfuir de leurs plantations et de se réfugier au -delà de la ligne Mason-Dixon, frontière qui séparait les Etats abolitionnistes des Etats esclavagistes. Bien que ce nom désigne le réseau de routes clandestines et non un véritable chemin de fer, Colson Whitehead a choisi de le matérialiser et d’imaginer un vrai réseau souterrain, avec ses tunnels, ses locomotives et ses wagons, ses chefs de gare et ses conducteurs. Et il le fait tellement bien que j’ai dû m’arrêter dans ma lecture pour vérifier s’il s’agissait d’une fiction ou non alors que j’avais déjà lu un roman (La dernière fugitive) sur le même thème.
Cet underground railroad, c’est Cora, une jeune esclave, qui nous le fait découvrir en s’échappant d’une plantation de coton en Géorgie. Aidée par les passeurs abolitionnistes, elle fuit vers les Etats libres du Nord avec, à ses trousses, le terrible et cruel chasseur d’esclaves Ridgeway. Son chemin sera parsemé de violence, de désillusions, éclairé aussi par de brefs moments d’espoir, de solidarité et d’entraide. Cette liberté rêvée par des milliers d’esclaves est entachée d’une haine raciale tellement forte que l’on ressort de ce roman avec un gout amer en bouche.
A travers ces pages, Colson Whitehead nous plonge dans l’Amérique féroce de l’avant-guerre de Sécession. C’est un roman puissant et qui prend aux tripes. L’auteur a réalisé un véritable travail de recherche historique. Toutefois, j’ai regretté ce style très documentaire prenne parfois le dessus sur le romanesque.
Un très beau roman qui fait écho au fabuleux No home lu précédemment.
Comment décrire le statut d’une fugitive ? La liberté était une chose changeante selon le point de vue, de même qu’une forêt vue de près est un maillage touffu, un labyrinthe d’arbres, alors que du dehors, depuis la clairière vide, on en voit les limites. Etre libre n’était pas une question de chaînes, ni d’espace disponible.
Et l’Amérique est également une illusion, la plus grande de toutes. La race blanche croit, croit de tout son cœur, qu’elle a le droit de confisquer la terre. De tuer les Indiens. De faire la guerre. D’asservir ses frères. S’il y avait une justice en ce monde, cette nation ne devrait pas exister, car elle est fondée sur le meurtre, le vol et la cruauté. Et pourtant nous sommes là.
« Le maître répétait souvent que la seule chose qui soit plus dangereuse qu’un nègre avec un fusil, leur dit-il, c’était un nègre avec un livre. Alors ici ça doit être un vrai arsenal de poudre noire ! »
Les Blancs étaient venus sur cette terre pour prendre un nouveau départ et échapper a la tyrannie de leurs maitres, tout comme les Noirs libres avaient fui les leurs. Mais ces idéaux qu’ils revendiquaient pour eux-mêmes, ils les refusaient aux autres.
Underground railroad de Colson Whitehead aux éditions Albin Michel.

Underground Railraod – Colson Whitehead