En avant-première de la Foire du livre de Bruxelles, rencontre littéraire, le 3 mars, avec Laurence Bertels (écrivain) à l’occasion de la sortie de son deuxième roman: « Le silence de Belle-Ile ».
Laissons tout d’abord à l’auteure la présentation de ce roman attachant et tout en finesse :
La quarantaine discrète, Cédric ne s’est jamais senti aimé par sa mère, ni par sa grand-mère, ni par son épouse. Et l’être dont il est le plus proche, son grand-père, Jacques Le Garrec, notaire à Saint-Pierre-Quiberon, s’éteint à l’âge de quatre-vingt-trois ans.
Présent sur la presqu’île au moment du décès, Cédric y restera jusqu’aux funérailles, aux côtés de Clarisse, la jeune dame de compagnie de son grand-père.
Sept jours qui bouleverseront son existence.
La lecture du journal intime de sa grand-mère, devenue muette au lendemain d’un naufrage, ébranlera toutes ses certitudes, d’autant que Clarisse, elle aussi, se révélera bientôt sous un autre jour.
Interview
Plaisirsdelire : Dans votre roman précédent*, votre personnage principal était une femme. Ici, vous avez choisi comme héros un homme. Volonté délibérée de changer ? Avez-vous éprouvé des difficultés à vous mettre dans sa peau ?
Laurence Bertels : Le héros masculin s’est imposé à moi à la suite d’un exercice d’atelier d’écriture auquel j’ai participé. Dans une nouvelle à plusieurs voix que j’avais écrite à cette occasion, j’ai senti comme une évidence que cet homme jeune serait le personnage de mon prochain roman. Cela m’amusait de me mettre dans la peau de quelqu’un différent de moi.
Je me suis facilement mise dans sa peau. Les fantasmes des hommes me paraissent faciles à imaginer.. . sans oublier que les hommes ont aussi du féminin en eux.
* La Solitude du Papillon paru en 2013 aux éditions Luce Wilquin
PDL : Cédric, un héros un peu mou qui semble se laisser porter par les événements, est présenté au fil des pages comme « un second choix », même dans sa vie amoureuse. Le antihéros est une tendance récurrente dans les romans contemporains. Est-ce ici un hasard ou un souhait de rejoindre un courant qui choisit de ne plus ne présenter des héros parfaits à qui tout réussit dans la vie ?
Laurence Bertels : Clairement c’est un antihéros. Et c’est une vraie tendance actuelle. Je suis touchée par les antihéros. Ce qui m’intéresse, ce sont les faiblesses, les fragilités humaines. De plus, les lecteurs ont besoin de s’identifier. J’aime le principe de résilience et je trouve que cette relation de bienveillance que Cédric a entretenue avec son grand-père a été porteuse pour lui. Après ces 7 jours à Belle-Ile, une nouvelle vie s’ouvre à lui . Il a une seconde chance grâce au deuil et aussi grâce à cette nature, … Cela peut donner espoir aux lecteurs.
Choisir un antihéros représente aussi un défi pour moi : le faire aimer de mes lecteurs malgré ses défaites, sa mollesse et même parfois aussi son arrogance.
PDL : Quand vous vous êtes mise à ce roman, était-ce pour répondre à un nouveau besoin d’écrire ou aviez-vous dès le départ l’intention de raconter quelque chose de précis ?
Laurence Bertels : Dès le début, je connaissais la dernière phrase du récit et la structure était déjà claire et très construite grâce à la nouvelle travaillée précédemment. Pendant le moment d’écriture du roman, j’ai donc plus pris le temps de travailler mon style, de soigner l’écriture. Je me sens plutôt à l’aise par rapport à la psychologie des personnages ; bien décrire les paysages, c’est là que l’on franchit le pas de… l’écrivain.

Laurence Bertels
PDL : Parlez-nous à présent de votre processus d’écriture. Certains écrivains prennent des mois pour élaborer la trame de leur roman, pour se documenter et enfin se mettent à écrire en un jet. D’autres se documentent en cours d’écriture. Qu’en est-il pour vous ?
Laurence Bertels : Depuis l’écriture de mon premier roman, j’ai beaucoup lu pour moi* en prenant des notes, en écrivant des mots que j’aime. Pendant l’écriture de ce roman, outre le style, j’ai aussi consacré beaucoup de temps à être au plus juste vu que mon roman est un roman réaliste. Je me suis documentée sur le monde des banques, des études notariales en France, etc. Mon travail d’écriture s’étale plutôt sur le long terme, cela vient petit à petit ; même si je ne me sens alors jamais en vacances, j’aime que le livre existe avec moi un certain temps.
*Laurence Bertels est journaliste du service culturel à La Libre Belgique. Vous la retrouvez chaque semaine au moins dans le supplément Lire.
PDL : Parmi les différentes étapes du processus de naissance d’un livre, quelle est pour vous la plus belle et la plus difficile à vivre ?
Laurence Bertels : La plus difficile, ca a été les deux premières années, avec ce que l’on appelle « le syndrome du 2e roman »*. Je suis ensuite retournée à Belle-Ile où je n’étais plus allée depuis 25 ans et ce séjour m’a donné un autre souffle.
Une très belle étape fut celle de mes deux séjours en résidence à Rodez chez deux amies éditrices qui m’ont accueillie en pleine nature m’offrant une immersion totale d’écriture. Là, j’ai pu pleinement travailler avec une écoute et un soutien inconditionnels. Je m’étais mis pour ce roman une contrainte forte et très « enfermante »: tout devait se passer en 7 jours, en retenue, presqu’en huis-clos, avec un antihéros. Je m’étais fixée aussi le challenge du cadre de la Bretagne : je n’avais pas droit à l’erreur. Je suis allée à petits pas. J’ai eu aussi des moment s d’amusement : le côté polar que je n’avais pas prévu au départ et l’idée de la lecture du journal, artifice littéraire pour tenir le lecteur en haleine.
Un autre moment que j’aime beaucoup, c’est quand je retranscris mes notes à l’ordinateur. Je triture, je relis, je peaufine, sans l’angoisse de la page blanche.
*Celui pour lequel l’auteur est attendu avant d’être vraiment déclaré écrivain. Ou pas.
PDL : Avez-vous un rituel d’écriture ?
Laurence Bertels: J’écris tout à la main, dans les mêmes cahiers, avec le même stylo. Avant de m’y mettre, je range d’abord tout dans ma maison-mieux que d’habitude – et puis, je m’y mets.
Nous remercions Laurence Bertels de nous avoir accordé cet interview qui nous a beaucoup appris sur le « plaisir d’écrire »…
Nous avons aimé :
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le caractère intime du récit
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la complexité psychologique des personnages marqués par des événements forts de leur vie
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les liens de cœur qui se tissent, parfois bien au-delà des liens familiaux
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et surtout les descriptions dignes d’un récit poétique et en totale harmonie avec les personnages
« Belle-Ile, pour Cédric, est une échappée, apporte un vent de fraicheur », nous dit Laurence Bertels. Une seule envie, la dernière page fermée, partir nous aussi à la découverte de Belle-Ile pour retrouver cette ambiance bretonne.
Là, sur la grève, entre chien et loup, à l’aube de l’hiver. C’est là qu’il aimait se promener, s’arrêter, frissonner, repartir ensuite. Fouler ce chemin qui n’en était plus un, heurter un caillou, respirer l’air sapide, errer au gré du vent vivifiant de la Côte Sauvage. Puis, regarder la mer se fracasser sur les rochers, se retirer pour mieux revenir dominer cette lande de terre échancrée qui s’offrait à ses assauts.
Cette côte inhospitalière, cette succession de falaises déchiquetées, cette alternance de grottes, de crevasses et d’anses de sable avaient bercé son enfance. Comme le chant du pipit maritime. Tellement plus doux que la voix rauque de la mouette qui se posa là, à l’instant, quelques mètres plus bas. Il l’observa pour se détourner de sa peine. Il était fasciné par la grâce de ses mouvements.