Une femme invisible. Si c’est le cas, pourquoi vouloir alors lui consacrer une biographie ? Nathalie Piégay est interpellée par le peu de place que réservent les livres d’histoire littéraire à une femme pourtant majeure : la mère naturelle de Louis Aragon – romancier et poète du 20e siècle –, Marguerite Toucas-Massillon.
Lorsque Louis lui avait raconté, la première fois, Claire sa grand-mère qui est la mère de sa sœur, une mère adoption, sa mère morte Blanche Moulin, un nom bien vulgaire sur l’acte de baptême, mais qui était un nom inventé, qui avait disparu de l’acte de naissance, comme celui de Jean Aragon, elle n’y comprenait rien.
Celle à qui Louis Aragon parle, c’est Elsa, l’épouse russe du poète. Ce fut aussi nous, lectrices de ce récit, qui avons été complètement perdues dans l’arbre généalogique de cette famille aux mille mensonges, tabous et secrets. Les mots n’étaient pas faits pour dire la vérité mais pour la masquer, la perdre ou la varier à l’infini. Pas facile de suivre donc mais en acceptant de nous laisser porter par la quête de l’auteure qui, telle un Maigret, épluche les dossiers d’archives, les épreuves posthumes et arpente les rues des différents domiciles de cette femme, nous avons petit à petit eu aussi envie de comprendre et de deviner la personnalité d’une femme de l’ombre qui a fait le choix de la fidélité et de l’amour jusqu’au bout.
Au-delà d’un récit biographique mené à la façon d’une enquête policière, l’auteure s’implique très régulièrement dans le texte : c’est elle qui nous raconte, c’est elle qui se met en question quant à l’opportunité de cette recherche scientifique alors que des tas de personnalités qui ont marqué leur temps mériteraient davantage de faire l’objet d’une biographie. Mais cette femme la fascine, l’interpelle et – c’est sans doute là que réside l’intérêt de notre lecture – la renvoie à son histoire familiale et au rôle discret mais non des moindres des femmes du début du XXe siècle.
Nous avons aimé :
- Mieux connaître la face cachée de ce romancier et poète français.
- Retrouver la réflexion sur cette mince frontière entre fiction et vérité historique, un thème décidément cher aux auteurs du 21e siècle. (On en parlait notamment ici.)
- La passion de l’auteur pour son sujet qui se ressent au fil des pages.
- le style de très belles phrases dont celles reprises ci-dessous dans nos extraits.
Rien n’est vrai. Tout est inventé, mais l’enfant est baptisé. Il a tôt compris que la vérité n’existe pas, qu’il faut lui préférer l’entre chien et loup de l’invention. D’autres auraient perdu la raison. Il a gagné le battement de l’imagination.
Marguerite est si proche et si lointaine. De quel droit penser qu’elle a été trop fidèle, trop amoureuse, trop soumise, qu’un siècle plus tard, elle aurait été plus indépendante, plus libre, plus heureuse, moins docile ? Qu’elle aurait écrit autrement, en transgressant, en s’affirmant ?
Merci!
Nous remercions les Editions du Rocher qui nous ont envoyé ce livre en avant-première. Nous sommes heureuses de vous en donner notre écho quelques jours avant sa parution lors de la rentrée littéraire.
Nathalie Piégay est professeure de littérature française à l’université de Paris VII-Denis-Diderot. Spécialiste de la littérature du XXe siècle, elle a notamment écrit un ouvrage sur Louis Aragon. Un autre sujet d’intérêt de cette chercheuse est la collaboration déterminante entre auteur-lecteur. Sujet qui passionne autant les blogueuses de Plaisirsdelire.

Une femme invisible – Nathalie Piégay – Plaisirsdelire