Il est de ces auteurs qui nous emportent tout entier dans l’atmosphère de leur roman. On se sent happé par un tourbillon d’émotions puissantes, envouté par une plume poétique et sensuelle, transporté par des personnages émouvants et intenses. Carla Guelfenbein fait partie de ces auteurs-là et l’on sort de ses romans le souffle coupé. Justesse des mots, puissance des thèmes abordés, originalité dans la manière de les raconter, ses histoires sont poignantes et ne nous laissent pas indemnes.
Après avoir lu Ma femme de ta vie et Le reste est silence, me voilà plongée dans l’ambiance chilienne de son troisième roman Nager nues. C’est l’histoire d’une amitié fusionnelle entre Sophie, jeune artiste d’une grande fragilité, et Morgana, jeune femme espagnole pleine de vie. C’est l’histoire d’un amour filial qui unit Sophie à son père, Diego, qu’elle vénère. C’est l’histoire d’une passion dévorante, d’un amour secret entre Morgana et Diego. C’est l’Histoire du Chili dans les années 70, du putsch de Pinochet, d’un pays traversé par la violence, la mort, l’instabilité.
Se sentant trahie par ceux qu’elle aime le plus, Sophie se réfugie chez sa mère à Paris. De l’autre coté du globe, Diego qui était proche du pouvoir doit vivre dans la clandestinité, entrainant avec lui Morgana et leur bébé. Le couple se fait tuer tandis que leur enfant est sauvé de justesse. Sophie veut oublier cette période de sa vie et tire un trait sur ces deux personnes. Il faudra attendre presque trente ans pour que les images des attentats du World Trade Center ravivent les souvenirs de Santiago en feu. Elle décide alors de partir à la recherche de sa demi-sœur.
J’ai aimé :
- cette écriture envoutante qui mêle histoire intime et grande Histoire.
- la poésie des mots choisis par Carla Guelfenbein qui expriment si bien la déchirure des cœurs, les non-dits, la tendresse, les sentiments profonds, les silences, la fragilité, l’oubli, le pardon.
- Me pencher sur l’histoire d’une époque et d’un pays que je ne connais que trop peu.
Si vous allez au Chili, emportez cette perle de la littérature chilienne et allez faire un tour sur le blog de voyages de ma copine Cécile qui vous fera emmène dans ce pays qui a l’air magnifique.
Le seul moyen de survivre est d’extraire la goutte de beauté contenue dans chaque chose.
elle croyait avoir oublié l’amitié puérile avec une poète qui n’avait jamais entendu parler d’elles ; l’éclat bleuté de la télévision oscillant sur les murs comme l’eau caressée par le soleil, et Diego, essayant de regarder les informations, qui leur demandait de rire moins fort ; elle croyait avoir oublié ces instants, quand leurs regards se croisaient et en silence scellaient leur complicité ; elle croyait avoir oublié le son des sirènes au loin se clouant dans leur poitrine, la voix de Morgana lui disant : « Tu peux, tu peux! », les rumeurs du fleuve et cette impression que la vie était à l’endroit où ils se trouvaient tous les trois. Elle croyait avoir oublié qu’une nuit elles avaient nagé nues.
Elle aimerait avoir un baromètre qui mesure l’intensité des sentiments de Diego, afin d’ajuster les siens en proportion. Comme elle n’en a pas, elle les laisse s’exprimer et les récupère, comme un pêcheur qui lance sa canne dans les eaux obscures et inconnues.

Plaisirs de lire – Nager nues – Carla Guelfenbein